Lettre de Battambang

16 Fév, 2022

Aujourd’hui, c’est Noël et ce qui nous étonne c’est que dans le monde entier on fête la naissance d’un enfant trop pauvre, troppetit pour compter, fragile comme la flamme d’une bougie dans la nuit. C’est Noël, nous accueillons une lumière dans lesténèbres, que le moindre souffle peut éteindre, fragile comme un enfant qui vient de naître. A Noël, Dieu ne transforme pas lanuit en jour, les ténèbres en lumière. Il n’illumine pas le ciel un instant comme pourrait le faire un éclair. Il se donne comme unefragile lumière qui surgit au milieu des ténèbres et y demeure. Le Fils de Dieu ne vient pas un instant, il est venu demeurer parmi nous.

Accueillir un enfant venu pour demeurer parmi nous, accueillir un enfant et en être illuminé, c’est aussi l’histoire de notre grande famille, « la famille du Père Jean », puisque chacun ici a d’abord été accueilli comme un enfant, un enfant accueilli parcequ’il était orphelin, pauvre, que ses parents avaient émigré pour chercher du travail, qu’il était malade ou que ses parents lesont, qu’il vivait trop loin de tout, qu’il avait faim cu qu’il voulait aller à l’école, qu’il était trop petit mais déjà au travail. Chez nous, chacun a d’abord été accueilli avant d’être invité ensuite à en accueillir d’autres. Aujourd’hui, c’est Noël aussi pournotre grande famille (86 de 2 ans à l’université avec quelques aînés responsables et quelques hôtes permanents – 73 àBattambang et 13 à Phnom Penh — chrétiens et bouddhistes — garçons et filles) mais chez nous Noël c’est un peu tous lesjours.

L’enfant qui, sur la photo de notre carte de vœux cette année, tient une bougie, la protège et en est tout illuminé s’appelle Phara.II a six ans et est l’un de ceux que nous avons accueillis cette année. Tombé d’un manguier au mois d’avril, il s’est fracturé lajambe. Sa grand-mère est seule pour d’élever puisque sa maman l’a déposé chez elle avant de disparaître. Pour le nourriravec d’autres petits-enfants qu’elle a aussi recueillis, elle perçoit comme une chance de travailler douze heures par jour, septjours par semaine. N’ayant pas de quoi le faire soigner, elle a consulté un guérisseur traditionnel qui ne l’a pris en charge quepartiellement puisqu’elle ne pouvait le payer que partiellement. Repéré Iors d’une tournée de visite de malades troissemaines plus tard, sa grand-mère nous l’a confié pour le soigner et qu’ensuite il puisse aller à l’école. La fracture était déjàconsolidée mais Phara ne pouvait plus marcher. II a fallu qu’il soit opéré deux fois cette année. Aujourd’hui guéri etmaintenant scolarisé, il est à la fois brillant et souriant. Illuminé, comme nous le sommes aussi.

Hay est aussi arrivé cette année. Son grand frère Heng avait été accueilli l’an passé. Leur maman avait déjà demandé qu’onle prenne en charge, mais nous avions déjà accueilli ’i 8 enfants et nous pensions que sa maman, bien qu’endettée et de santéfragile, pourrait le garder. Nous avons appris rapidement qu’il habitait avec une tante dont les enfants étaient drogués ettrafiquants et qu’ils utilisaient déjà Hay comme commissionnaire. II ne convenait pas de le Iaisser dans un tel contexte et nousl’avons vite accueilli chez nous. Thaï (10 ans) est arrivé fin mars. Il voulait déjà venir l’an passé et avait regardé partir avecenvie ceux de son village que nous avions accueillis. Thaï était élevé lui aussi par sa grand- mère …que nous soignonsdepuis de nombreuses années. Sa maman vit en Thaïlande depuis bien Iong temps, son père est Thaïlandais mais ne l’ajamais reconnu. A sa naissance, ses parents se sont séparés et après avoir accouché au village au Cambodge, sa mamanest retournée travailler en Thaïlande. Savedy (12 ans) et son frère Heng (10 ans) sont arrivés cet automne. Ils vivent chez Ieursgrands-parents dans un tout petit hameau de deux familles, très loin de l’école et inaccessible en saison des pluies sinon en canot. Leurs parents sont partis il y a Iong temps travailler en Thaïlande, endettés chroniquement depuis la naissance deHeng. Après un début d’accouchement difficile au village, il est né à la ville par césarienne suivie de plusieurs complications etopérations pour sa maman. Au Cambodge, urgence + pauvreté = usurier. Depuis la famille est dans les dettes. Ils auraientvoulu amener avec eux Ieur cousine de 13 ans qui était en 6*”• et Ieur cousin de 15 ans qui entrait en 3è •. Le décès de leurgrand-père, chez qui ils vivaient pour aller à l’école, a interrompu Ieur scolarité. Ils ont donc rejoint leurs parents pour travaillersur des chantiers. Peut-être pourrons-nous un jour les récupérer.

Nous continuons bien sûr à accompagner plus de 200 malades ou personnes âgées en les visitant chaque semaine et en Ieurapportant les traitements dont ils ont besoin et parfois de la nourriture, prenant des nouvelles. Nous « allaitons » aussi unevingtaine de bébés. Cela représente pour six équipes de deux collégiens ou lycéens plus de 325 km en motocyclette chaquesemaine et plus de 1000 € par mois de médicaments. Certains malades sont accueillis chez nous pour un temps quand celaest nécessaire. Pour d’autres, il faut les accompagner parfois jusqu’à la mort. Cet été, nous avons accompagné Hoeun, 12ans. Atteint d’un cancer des os, il avait été amputé d’une jambe. Quand il n’y a plus eu d’espoir de guérison, l’hôpitalpédiatrique l’a renvoyé chez lui. Mais ses parents très pauvres, et le papa étant alcoolique et violent même avec son enfanthandicapé et mourant, ne pouvaient guère le prendre en charge. Le dispensaire où il est allé ne savait que faire non plus etnous a appelés. Tout le monde espérait qu’il meure rapidement tellement il souffrait, sa maman aussi. Grâce aux conseilsd’une médecin française, spécialiste des soins de fin de vie, nous avons pu lui permettre de vivre pleinement les trois derniers mois de sa vie sans souffrance, en paix, avec ses parents auprès de lui comme jamais il ne les avait connus.Accompagné quotidiennement par Meas, il a mené une vie heureuse, active, tout en étant conscient de la fin toute proche desa vie. Avant de mourir, il a voulu choisir le cimetière où il serait inhumé, un cimetière à côté d’une école car disait-il « je veuxpasser ma mort au milieu des enfants ». Samret, 35 ans, un jeune père de famille de trois enfants de 10 ans à 8 mois, maladedepuis déjà 7 ans, nous a été apporté en octobre par une paroisse dont, Lui-même étant bouddhiste, il avait sollicité l’aide. La paroisse l’avait conduit à l’hôpitalprovincial qui l’avait renvoyé chez lui. Sacret était paraplégique et souffrait d’une maladie rare. En juillet, il aval étéopéré en Thaïlande où, bien que malade, il était allé avec son épouse en espérant gagner de quoi rembourser sesdettes de soins. Sans assurance maladie, cette opération a fini de le ruiner. Grâce á un traitement ronseillé par nos amismédecins en France, il avail retrouvé la marche après quelques jours chez nous. Nous avions pu trouver un travail á sonépouse et nous fournissions du lait au bébé. Malheureusement une complication imprévue a conduit à son décès en troisjours. Simultanément était arrivé Chheng Ly, 33 ans, à cause de son travail trop dur, il ne pouvait plus marcher. II n’avait jamais été vraiment soigné par les médecins qu’iI avait consultés et qui voyaient davantage en lui un client qu’un patient. Après troismois de traitement et de repos, il a pu rentrer chez lui. Au même moment encore, nous avons reçu le père adoptif de Chance,cette petite fille dont nous vous avons souvent parlé. II fallait l’opérer en urgence puis le garder ensuite pour deux mois desoins à la communauté. Le chirurgien qui n’avait jamais rencontré une telle pauvreté a demandé qu’on lui explique sesconditions de vie. Tous les frais (500 $ pour l’opération) ont été payés grâce à votre générosité.

L’année a bien sûr été marquee comme chez vous, comme partout, par la poursuite de la pandémie et par l’explosion du nombre de cas au Cambodge dont les statistiques disaient qu’iI avait été jusque-là préservé. Pour la 2ème année consécutive les écoles ont été fermées la plus grande partie de l’année. Alors que la rentrée avait été décalée en janvier,l’année scolaire a été brutalement interrompue début mars pour ne reprendre les cours en présentiel que courant octobre oudébut novembre. Pour le reste de l’année scolaire, les cours ont, dans le meilleur des cas, été assurés en distancié. Heureusement nos primaires pouvaient compter sur Bunnit et quelques aînés lycéens pour les prendre en chargeet poursuivre leur scolarité. Mais les plus insécurisés ont été les candidats bacheliers dont les épreuves du bac ont été reportéesau lendemain de Noël, dans deux jours. Enfin, pour tous les enfants et jeunes, les restrictions de circulation liées au Covid n’ontpermis que deux visites en famille en ‘18 mois. Malgré cette vie commune permanente et prolongée (pas de sortie ni à l’écoleni en Camille), la vie communautaire n’a pourtant pas connu de crise.

L’année a aussi été marquée par l’avancement de deux chantiers dont l’un (un accueil pour les malades) était interrompu depuis 10 ans et a pu reprendre grâce à l’aide de l’association “Un pas avec les frères Jaccard”. L’autre (la reconstruction denotre cuisine) a bénéficié de l’aide de « Restaurants sans frontière ». Le cours des saisons a été plus ordinaire et la moisson,en cours, de nos 32 hectares de rizière s’annonce sułfisante pour nous nourrir et nous permettre de partager. Partager avec ceux, nombreux, qui ont faim, c’est ce que nous demandons avant chaque repas dans la prière du ”bénédicité » :« ouvre nos cœurs, ouvre nos mains et apprends-nous à partager avec nos frères qui ont faim ». II y a quelques semaines, onnous a signalé une Camille de six enfants, le septième était mort âgé d’une semaine quelques jours avant. Le père était trèsdénutri : le chômage, consequence du Covid, l’empêchait de trouver de quoi nourrir ses enfants. II ne mangeait donc pasdepuis un mois pour que ses enfants puissent manger. Nous avons bien sûr partagé nos repas en portant de quoi rassasiercette famille tous les jours pendant un mois, le temps que le papa reprenne suñsamment de forces pour pouvoirgagner de quoi nourrir les siens.

Accueillir la lumière au milieu des ténèbres, c’est aussi ce qu’a fait le Père Jean Badré, moine bénédictin, dont lacharité continue de nous éclairer. Au milieu de la guerre et à l’arrivée des Khmers rouges, il a continué àaccueillir malades et pauvres, au prix de sa vie. Avec ses frères, Bernard Chunsar, Dany Nimith et AndréRumchuor, ils sont des témoins de notre règle de vie : « Ne soyez pas préoccupés seulement de vous-mémes mais aussi des autres » (Ph 2,4)

A Noël, nous fêtons la naissance de Jesus, mais ce n’est ¡›as son anniversaire puisque nous ne savons pas quel jour il est né. Cela ne nous surprend pas, puisque beaucoup d’enfants chez nous ne savent pas non plus quel jour ils sontnés, trop pauvres pour pouvoir être enregistrés le jour de leur naissance. Quand ils ont besoin d’un acte de naissance pourentrer à l’école, on fait le nécessaire et c’est au jour déclaré sur cet acte qu’iIs fêtent leur anniversaire ! Ne pas savoir quel jourJesus est né nous permet de comprendre que si l’on fête Noël une fois par an, nous pouvons accueillir l’enfant de la crèchechaque jour de l’année en le reconnaissant dans cet enfant, ce pauvre, ce malade, cet affamé et parfois un peu tout en mêmetemps. A chaque fois que nous l’accueillons, nous en sommes illuminés et nous le reconnaissons ! Mercí à vous de nous accueillir et de nous permettre d’accueillir grâce à votre générosité. Puissions-nous en être ensemble illuminés !

Si vous souhaitez nous aider, vous pouvez envoyer votre don à:

« Association des Amis du Père Jean » – P. Bernard DU PRAZ

733 rue du Bertillet – 730110 CHAMBERY – FRANCE

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