Des briques plus forts que la guerre et des frères aussi forts que les briques

22 Oct, 2018 | Actualités

Quelques photos des briques, des frères-briques et le projet des Bourses d’étude 2018-2019

Grâce à vos dons, le miracle a commencé !!! MERCI à chacun de vous.

Nouvelles du Carmel de Bangui n ° 22 – 17 octobre 2018

Que la Centrafrique, après cinq ans de guerre et bien plus de mauvais gouvernement, est un pays à reconstruire – ou, plus honnêtement, à construire – tout le monde le dit. Sur la manière dont cette reconstruction devrait commencer et à partir d’où,  les opinions  sont multiples. En outre, il y en a qui persistent à faire la guerre, détruisant même ce qui a été construit en presque soixante ans d’indépendance. Heureusement, il y en a aussi qui s’obstinent à croire que le pays n’est pas condamné à la guerre et qu’il est possible, discrètement et avec détermination, de construire des petits chantiers de paix et d’espoir.

Un de ces chantiers est apparu, il y a quelques mois, ici au Carmel de Bangui. Il s’agit d’un petit rêve que nous cultivions depuis des années et que, grâce à quelque heureuse coïncidence et à l’aide de plusieurs personnes, nous avons finalement réussi à réaliser. Puisqu’il y a un pays à construire, nous nous sommes tout simplement demandé  pourquoi ne pas essayer de fabriquer des briques? De vraies briques, de nouvelles briques, des briques fortes, plus fortes que la guerre.

L’achat de machines – et leur mise en service – ont été possibles grâce à la contribution de l’association française «Un P.A.S. avec les Frères Jaccard » (fondée par deux frères prêtres, dont un récemment disparu, anciens missionnaires auprès des lépreux du Cameroun) et un financement de la part de la Conférence épiscopale italienne, grâce à des fonds versés à l’Église catholique par le biais de l’8xmille.

Les machines sont arrivées directement d’Afrique du Sud, et c’est du Congo qu’est arrivé James, ingénieur-formateur, qui a appris à trente ouvriers à fabriquer les briques. En effet, il ne s’agit pas de briques communes, mais d’une nouvelle technique de fabrication. En Centrafrique en effet, les briques sont généralement soit en argile (séchées au soleil ou cuites dans des fours artisanaux) soit en ciment et sable. Les briques du Carmel sont par contre plutôt «hydraform». Ce sont des briques composées de 46% d’argile, de 46% de sable et enfin de 8% de ciment et d’un peu d’eau. Les briques sont simplement pressées par deux pistons, puis arrosées pendant une semaine et, sans être cuites au four, elles sont prêtes à l’emploi. Ces briques sont résistantes à l’eau et particulièrement fortes : elles peuvent supporter une pression de cinq et demie méga Pascal. Elles sont également autobloquantes et ne nécessitent donc pas de mortier au moment de la construction. Même les piliers ne sont pas nécessaires. Et esthétiquement, elles sont  belles, si bien qu’il n’y a pas besoin de les crépir. En bref : une sorte de Lego d’argile rouge et de sable de rivière! Dans les photos ci-jointes, vous pouvez voir quelques images de la production et de la première construction que nous sommes en train de réaliser, une école d’agriculture (un autre rêve dont je vous parlerai plus en détail à une autre occasion). Ces briques sont destinées à la construction dans nos missions, mais également à la vente. Vous ne le croirez peut-être pas, mais notre premier client n’était autre que le pape François. Depuis plusieurs mois – selon un souhait explicite du  Pape, après sa visite en Centrafrique en 2015 – a commencé à Bangui la construction d’un Centre pour les enfants sous alimentés. Les travaux sont suivis par la Nonciature Apostolique et un petit bâtiment a été construit avec les briques produites au Carmel. Donc, comme premier client, ce n’est pas si mal!

Cette activité a pour nous une double valeur symbolique. Tout d’abord, cela représente notre contribution modeste et concrète à la reconstruction du pays. Cette reconstruction passe, entre autres, par la création de lieux de formation comme la briqueterie et l’école d’agriculture. En outre, la plupart des ouvriers qui ont suivi la formation – et qui fabriquent maintenant des briques ou travaillent sur le chantier –  sont des anciens réfugiés du Carmel. Un jour, alors que je prenais des photos sur le chantier, Bodelò, un jeune homme de vingt ans, père de deux enfants, s’est approché de moi. Tout fier, il soulève une brique qu’il vient de faire surgir entre ses mains. Il a presque du mal à croire que c’est lui qui a été capable de produire quelque chose d’aussi beau et d’aussi solide. Et, bien conscient que ce ne sont pas les armes, mais seulement la bonne volonté qui éliminera la misère et la guerre de son pays, il me fait part de son grand projet pour l’avenir: « Mbi ye ti ga maçon! Je veux devenir maçon! » L’heure de la construction d’une nouvelle Centrafrique, au Carmel, vient de sonner.

Ensuite, il y a une deuxième valeur symbolique. Lorsque les premiers missionnaires piritains français sont arrivés en Centrafrique, vers la fin du 19ème siècle, l’une des premières activités qu’ils avaient mises en place dans leurs missions étaient la fabrication de briques: c’est ainsi qu’ils avaient pu construire des églises, des maisons, des écoles, des dispensaires et des cathédrales. Notre communauté reprend discrètement cette activité, tissant symboliquement un lien avec ces anciens missionnaires.

Entre-temps, le soussigné a atteint le sommet de ses quarante ans, dont vingt ans  comme frère carme, et dix ans de ces vingt dans ce coin de paradis situé plus ou moins à l’intersection entre le 4ème parallèle au nord de l’équateur et le 18ème méridien à l’est de Greenwich. Il semble que la crise de la quarantaine  n’épargne pas les religieux et que le besoin de paternité, même pour ceux qui ont librement choisi de ne pas avoir d’enfants, est incontournable. Une légende conventuelle, qui m’a été transmise par un très cher ami franciscain, raconte que cette crise peut être résolue de quatre manières. Il y a ceux qui commencent à avoir vraiment des enfants, ceux qui écrivent des livres, ceux qui construisent des églises ou des choses comme ça. Et enfin – quatrième solution, et la meilleure – il y a ceux qui découvrent toute la beauté et la responsabilité de la paternité spirituelle. En ce qui concerne des enfants, je peux dire que j’en ai  approché de près quand dans notre couvent, pendant la guerre, naissaient des enfants par dizaines. En ce qui concerne les livres – mis à part ces nouvelles tant attendues par mes vingt-cinq lecteurs – je n’en ai pas écrits. En ce qui concerne les bâtiments, avec l’aide de Dieu et la vôtre, j’avoue que je voudrais beaucoup construire une église, car nos célébrations dominicales, qui sont toujours bondées,  se déroulent sous un hangar, avec un toit en tôle et un sol en terre battue.

Mais en ce qui concerne la paternité spirituelle, là, je dois dire que  le Seigneur a dépassé toutes mes attentes en me donnant la joie d’accompagner les premiers pas dans la vie religieuse de dizaines de jeunes. Mettre au monde un frère est aussi beau et aussi complexe que de mettre au monde un homme. Heureusement, il ne s’agit pas d’un travail en solitaire, mais c’est un  véritable travail d’équipe que je partage avec mes frères. Et, si vous permettez une comparaison un peu audacieuse, donner naissance à un frère, c’est un peu comme fabriquer une brique. En effet, chaque frère est comme la rencontre entre la terre de son propre enthousiasme et de sa propre fragilité et le sable des rêves et de la miséricorde de Dieu. Ensuite il faut nécessairement le ciment de la compagnie des frères, sans oublier l’eau de votre généreuse amitié et de vos prières. L’ensemble est ensuite pressé – avec modération, mais aussi avec détermination – entre les deux pistons de l’Évangile et de la Règle. Au chef du chantier reviennent  l’honneur et la charge de veiller à ce que  les proportions soient respectées et qu’aucun ingrédient y manque, et cela, en offrant  son propre exemple, et en faisant preuve de beaucoup de bon sens et encore plus de patience. En sachant également que cette brique – pardon !, je voulais dire ce frère en question! – ne lui appartient pas. La seule différence, c’est que pour faire une brique, il suffit d’une semaine, alors que pour faire un frère, une vie n’y suffit pas. Et si les briques sont pratiquement toutes identiques, les frères sont très différents les uns des autres. Il n’y en a pas un qui ressemble à l’autre.

À moi et à mes frères missionnaires, anciens et nouveaux, la joie et la responsabilité d’être les pierres de fondations de la construction – jour après jour, brique après brique, frère après frère – de ce petit Carmel, dans cette jeune église, dans ce grand pays.

Amitiés.

Père Federico … et douze briques en construction

Quelques vidéos et autres liens :

1. Centre malnutris Bambino Gesù à Bangui : https://youtu.be/CfVc-2STVMw

2. Brique après brique renaît la Centrafrique : https://youtu.be/X2YMg3ZDFUE

3. http://sictm.chiesacattolica.it/in-centrafrica-tra-i-progetti-in-costruzione

4. https://www.freresjaccard.org/afrique